Droit public des affaires & Activités régulées (1)

Newsletter Droit public – Décembre 2021

Commande publique

La limitation des moyens invocables par les tiers

CE, 12 avril 2021, n° 436663, Sté Île de Sein Énergies

Depuis une décision rendue le 30 juin 2017 (CE, sect., 30 juin 2017, n° 398445, Synd. mixte de promotion de l’activité transmanche), le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel le refus de l’administration de mettre fin à l’exécution d’un contrat administratif peut faire l’objet d’un recours de plein contentieux, tout en limitant les moyens invocables à ce titre.

Sont invocables les trois moyens suivants :

  • « la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours »;
  • « le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office »;
  • « la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général », à savoir en cas « d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général ».

Par sa décision du 12 avril 2021, le conseil d’Etat apporte la précision suivante : un tiers qui introduit un recours en contestation de la validité du refus de mettre fin à l’exécution d’un contrat administratif ne peut invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence. Ce manquement ne peut être invoqué qu’en cas de recours engagé à la suite de la passation des contrats administratifs.

Cette solution se justifie dans un souci de sécurité juridique afin de préserver la stabilité des relations contractuelles.

Le juge nuance toutefois la portée de sa décision en indiquant que la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence pourrait être invoquée en cas de « circonstances particulières », dans lesquelles la violation de ces obligations aurait entaché le contrat « d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution ».

L’évaluation du préjudice subi au titre d’une entente

CE, 27 avril 2021, n° 440348, Sté Lacroix Signalisation

Dans sa décision du 27 avril 2021, le conseil d’Etat, suivant le raisonnement du rapporteur public, a adopté une nouvelle méthode pour évaluer le préjudice subi par une personne publique victime d’une entente anticoncurrentielle (méthode dite de « la comparaison dans le temps ») qui consiste à « se fonder sur la comparaison des taux de marge de la société pendant la durée de l’entente et après la fin de celle-ci pour en déduire le surcoût supporté par la personne publique sur les marchés litigieux ». Pour justifier cette position, le rapporteur public a avancé le fait que cette méthode était la plus couramment utilisée par les juridictions administratives, au motif qu’elle compare « des données pertinentes » car elle permet d’ « écarter des facteurs exogènes expliquant une variation des prix ou des marges indépendamment de l’impact de l’entente ».

La mention obligatoire du montant maximal d’un accord-cadre

CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20, Simonsen & Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark

La cour de justice de l’UE, dans un arrêt du 17 juin 2021, a apporté des précisions quant au contenu minimum des accords-cadres, sujet peu abordé en jurisprudence. Elle indique qu’il découle des dispositions de la directive 2014/24/UE que les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de mentionner le montant maximal de l’accord-cadre dans l’avis de marché ou, à défaut, dans le cahier des charges.

Par cet arrêt, la cour de justice impose indirectement aux acheteurs une juste définition de leurs besoins.

En conséquence, l’article 2 du décret du 23 août 2021 (n° 2021-1111) est venu modifier le code de la commande publique en supprimant la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum pour les marchés de défense ou de sécurité afin de se conformer à la position de la cour de justice de l’UE.

Les rigueurs du juge judiciaire du référé précontractuel

Cass. com., 13 octobre 2021, n° 19-24.904, Sté Promologis

Dans son arrêt du 13 octobre 2021, la cour de cassation a posé l’obligation, pour le juge judiciaire statuant en qualité de juge du référé précontractuel, de rechercher si le candidat évincé auteur de la requête pouvait remporter le marché afin de savoir s’il était susceptible d’être lésé par le manquement invoqué.

À la différence du juge administratif, qui considère que le candidat évincé est susceptible d’être lésé s’il présentait une simple éventualité de remporter le marché, la cour de cassation semble ici attendre que soit démontré un certain degré de certitude pour pouvoir mesurer la lésion.

Pas de prorogation de plein droit d’un contrat de concession

CE, avis, 27 octobre 2021, n° 452903

Saisi d’un désaccord entre les parties à un contrat, le conseil d’Etat a rendu une décision par laquelle il a posé le cadre juridique applicable à des relations s’étant poursuivies après le terme d’une concession.

Il considère qu’aucune disposition législative ou règlementaire ne garantit la prorogation ou le renouvellement de plein droit d’un contrat de concession, « sans que les parties ne se soient entendues sur sa prorogation, son renouvellement ou la conclusion d’un nouveau contrat ».  Partant, le juge refuse de reconnaître l’existence d’une clause de tacite reconduction dès lors que les parties ne l’ont pas prévue elles-mêmes. Est également précisé que seules les missions de service public incombant au titulaire peuvent se poursuivre à l’issue du contrat, tout en rappelant que l’acheteur doit négocier et conclure un nouveau contrat dans les meilleurs délais.

Propriété publique

L’occupation de dépendances du domaine public français situées à l’étranger

CE, 25 juin 2021, n° 438023, Sté Mezzi et Fonderia

Par sa décision du 25 juin 2021, le conseil d’Etat pose le principe selon lequel les biens immobiliers appartenant à une personne publique et répondant aux critères posés par l’article L. 2111-1 du code de la propriété des personnes publiques sont des dépendances de son domaine public, y compris s’ils sont situés à l’étranger.

Il s’ensuit que le juge administratif est compétent de plein droit, en vertu d’une règle d’ordre public, pour les litiges relatifs aux contrats d’occupation des dépendances du domaine public français situées à l’étranger, en application de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Dès lors, les règles d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public s’appliquent également à l’étranger, leur respect étant confié au contrôle du juge administratif français, dont la compétence juridictionnelle ne peut faire l’objet d’aucune dérogation, même par voie contractuelle.

Environnement

Le vice caché de la chose vendue polluée

Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, n° 20-15.354 et 20-16.156

Lors de la vente d’un bien, l’acquéreur est protégé contre les vices susceptibles de le rendre impropre à son usage ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il l’avait connu.

Dans un arrêt du 30 septembre 2021, la cour de cassation a eu l’occasion de se pencher sur cette question en considérant pour la première fois que la vente d’un terrain pollué et l’inconstructibilité qui en résulte constituent non pas un défaut de conformité mais un vice caché de la chose vendue, en ce que ce l’inconstructibilité du terrain le rend impropre à son usage.

L’application directe des stipulations de la Convention d’Aarhus

CE, 15 novembre 2021, n° 434742, Association Force 5 c/ sté Direct Energie Génération

Dans sa décision du 6 juin 2007 (CE, 6 juin 2007, n° 292942, Commune de Groslay), le conseil d’Etat avait estimé que l’article 6 paragraphe 4 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 relative à la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement ne créait d’obligations qu’entre les Etats signataires, sans produire d’effets directs dans l’ordre juridique interne.

Par une décision du 15 novembre 2021, le conseil d’Etat opère un revirement important en admettant l’applicabilité directe de cet article au motif que la convention ne régit pas exclusivement les relations entre les Etats signataires et que cette disposition ne requiert pas l’intervention d’un acte complémentaire pour être applicable aux particuliers.

Loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique

Loi n° 2021-1485, 15 novembre 2021, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique

Afin de réduire l’empreinte environnementale du numérique, la loi du 15 novembre 2021 pose les cinq objectifs suivants :

  • faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique à l’aide de formations scolaires et professionnelles et de la création d’un observatoire des impacts environnementaux du numérique (articles 1 à 4) ;
  • limiter le renouvellement des appareils numériques, notamment en renforçant le délit d’obsolescence programmée et la lutte contre l’obsolescence logicielle, mais également en informant le consommateur sur toutes les implications des mises à jour de ses appareils numériques (articles 5 à 23). S’agissant des achats publics, les pouvoirs adjudicateurs seront, à compter du 1er janvier 2023, dans l’obligation de prendre en compte les indices de réparabilité et de durabilité des produits numériques qu’ils souhaitent acquérir (article 15) ;
  • favoriser des usages numériques écologiquement vertueux à travers la création d’un référentiel général d’écoconception des services numériques qui fixera des critères de conception durable des sites web à partir de 2024, mais également par l’encadrement de l’ARCEP du démarchage téléphonique via des automates d’appels (articles 24 à 27) ;
  • promouvoir des data centers et des réseaux moins énergivores (articles 28 à 33) ;
  • promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires, en intégrant aux plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) l’enjeu de la récupération de chaleur des centres de données, mais également en imposant aux collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants d’élaborer une stratégie numérique responsable à partir de 2025 (articles 34 à 36).