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21.01.2024Edouard Olson, Jérome Michel

Newsletter Droit public – Janvier 2024

  • Commande publique : nouveaux seuils européens applicables au 1er janvier 2024

Avis relatif aux seuils de procédure et à la liste des autorités publiques centrales en droit de la commande publique

Les règlements délégués de la commission européenne fixant les seuils de procédure formalisée applicables aux marchés publics et aux contrats de concession pour les années 2024 et 2025 ont été publiés au JOUE du 16 novembre 2023. Comme attendu, ces seuils sont en légère hausse (entre 2 et 3%).

S’agissant des marchés de travaux, le seuil unique, qui s’apprécie par opération, passe pour tous les acheteurs et autorités concédantes de 5 382 000 euros HT à 5 538 000 euros HT. En ce qui concerne les marchés de fournitures et services, les seuils, qui s’apprécient par catégorie homogène de fournitures et services ou par unité fonctionnelle, varie selon le type de collectivités. Il passe de 140 000 euros HT à 143 000 euros HT pour les administrations relevant du régime de l’État.

Pour les collectivités locales et leurs établissements publics, le seuil de 215 000 euros HT est porté à 221 000 euros HT. Pour les acheteurs agissant en tant qu’entité adjudicatrice, le seuil progresse pour s’établir à 443 000 euros HT contre 431 000 euros HT précédemment. Ce seuil de 443 000 euros HT s’applique également au régime spécifique des marchés de défense et de sécurité.

Le ministère de l’Economie et des Finances a donc procédé à la modification corrélative de l’annexe 2 du code de la commande publique en publiant le 7 décembre un nouvel avis relatif aux seuils de procédure, paru au JO le 9 décembre.

  • Précisions sur l’office du juge du contrat saisi d’une demande indemnitaire des cocontractants

CE, 27 novembre 2023, SNCF Voyageurs, req. n° 462445 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par une décision du 27 novembre 2023, le conseil d’Etat a précisé les contours de l’office du juge en matière de contentieux de l’exécution d’un contrat public.

Dans cette affaire, l’établissement public SNCF Mobilités, devenu aujourd’hui l’entreprise publique SNCF Voyageurs, a conclu avec la région PACA un contrat d’exploitation des services ferroviaires régionaux pour la période 2007-2016. Alors que la région versait en principe à la SNCF une contribution financière dont les modalités de calcul étaient définies contractuellement, elle a décidé en 2016 d’arrêter un nouveau montant, revu à la baisse, par le vote d’une délibération.

La SNCF a donc saisi le tribunal administratif de Marseille afin d’obtenir le versement de la différence entre le montant prévisionnel et le montant voté par délibération, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle et à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle.

Le tribunal administratif a considéré que le mécanisme de compensation financière prévu par le contrat constituait en réalité une aide d’Etat, et que le contrat était dès lors illégal.

SNCF Mobilités a interjeté appel du jugement mais la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé l’annulation prononcée en première instance, en estimant que le contrat avait un contenu illicite.

SNCF Mobilités s’est pourvue en cassation devant le conseil d’Etat, qui a tout d’abord rappelé dans son arrêt sa jurisprudence de principe Commune de Béziers de 2009 relative à l’exigence de loyauté contractuelle :

« lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel » [1]

Or le conseil d’Etat a estimé qu’en l’espèce le tribunal administratif de Marseille avait méconnu son office en annulant le contrat alors qu’il était saisi d’un litige indemnitaire relatif à l’exécution.

Comme énoncé par le rapporteur public dans ses conclusions, « permettre au juge de l’exécution d’annuler d’office le contrat aurait pour effet de déposséder le requérant de ses conclusions indemnitaires au profit de la mise en accusation d’un contrat qu’il n’entendait nullement contester. Cela reviendrait à permettre au juge de provoquer un changement de la portée de la requête en mettant en jeu la survie juridique de l’acte là où les parties entendaient seulement garantir la poursuite de son exécution » [2].

Le conseil d’Etat a donc estimé que les premiers juges s’étaient mépris sur leur office et que les juges d’appel n’avaient à tort pas relevé d’office cette erreur. Or, l’apport de cet arrêt SNCF Voyageurs réside précisément dans l’affirmation du caractère d’ordre public d’un tel moyen, comme expliqué par le rapporteur public dans ses conclusions : « l’erreur commise par le TA, dans la mesure où elle a pour effet (…) de bouleverser les équilibres subtils du contentieux contractuel, est bien trop grave pour que sa correction soit laissée entre les seules mains des parties ».

En définitive, le juge du contrat méconnaît son office s’il annule le contrat alors qu’il n’est saisi que d’un différend portant sur son exécution, et le moyen tiré d’une telle erreur doit être relevé d’office par les juges d’appel.

  • Censure par la CEDH de l’application de la jurisprudence Czabaj aux instances en cours

CEDH, 9 novembre 2023, Legros c/ France, n° 72173/17 et 17 autres

En vertu de l’arrêt de principe Czabaj rendu par l’Assemblée du contentieux du conseil d’Etat en 2016, le juge administratif considère qu’en l’absence de mention des délais et voies de recours, le délai de contestation d’une décision administrative doit être « raisonnable » et ne peut, en règle générale, excéder une année à compter de la décision. Cette jurisprudence visait à cadrer l’exercice du droit de recours dans le cas où le délai légal de deux mois ne trouve pas à s’appliquer [3].

La méconnaissance de ce délai raisonnable issue de la jurisprudence Czabaj permet aux juridictions administratives d’opposer une tardiveté et c’est sur l’application immédiate, en cours d’instance, de ce nouveau délai limitant dans le temps l’introduction d’un recours contentieux, que dix-huit requérants ont saisi la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en invoquant une méconnaissance de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme relatif au droit d’accès à un tribunal.

Dans son arrêt Legros c/ France, la CEDH valide le principe même de la jurisprudence Czabaj, en estimant que la définition, par voie prétorienne, d’une nouvelle condition de recevabilité n’était pas en soi contraire aux droits protégés par l’article 6 de la convention, dès lors que celle-ci respecte les principes de sécurité juridique et de proportionnalité.

Cependant, les juges européens ont estimé que les droits des requérants garantis par la convention avaient été méconnus en raison d’une application trop rigoriste de la règle nouvelle qui n’a pas tenu compte de circonstances particulières, en soulignant l’imprévisibilité et l’irréversibilité de cette application. La cour a donc estimé que l’essence même du droit d’accès à un tribunal s’en était trouvé altéré. La CEDH a donc condamné l’Etat français à verser aux requérants des dommages et intérêts.

 

[1] CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n° 304802 : publié au recueil Lebon

[2] Conclusions du rapporteur public Clément Malverti sous l’arrêt SNCF Voyageurs

[3] CE, 13 juill. 2016, Czabaj, req. n° 387763 : publié au recueil Lebon